Au fil du temps, l’Arabie saoudite s’est construit une réputation en matière de mégaprojets visant notamment à diversifier son économie et à réduire sa dépendance aux revenus pétroliers (tout en accélérant l’utilisation des énergies fossiles dans les pays pauvres).
Parmi ces initiatives, on en identifie un certain nombre dans le domaine du tourisme, des infrastructures ou encore des énergies renouvelables. Un problème, néanmoins, se pose : leur mise en œuvre nécessite généralement des investissements massifs, entraînant un impact financier significatif pour le royaume. En d’autres termes, les financements importants requis tout au long de l’élaboration de ces projets peuvent conduire, à court terme, à des déficits budgétaires. Une situation illustrée par le Wall Street Journal ce mardi 20 février : on découvre que les projets que l’Arabie saoudite s’efforce de développer dans le désert ont largement grignoté ses finances.
Une chute de 75 % des réserves de trésorerie
Ces derniers mois, le pays du Moyen-Orient a enchaîné les projets d’investissements massifs. Parmi eux : un plan à 100 milliards de dollars consacré à l’électronique et aux semi-conducteurs, un complexe immobilier à 48 milliards de dollars qui prend la forme d’un cube, ou encore une compagnie aérienne internationale.
Les mondes du golf et du football ont aussi été ébranlés, puisque des offres ont été faites afin de transférer des joueurs de la Premier League anglaise vers le championnat local.
Rien de surprenant, donc, à ce que le fonds souverain de l’Arabie saoudite (qui est en charge de ces initiatives) ait annoncé début 2024 que ses réserves de trésorerie avaient chuté de près de 75 % à l’automne dernier, pour tomber à 15 milliards de dollars environ. Depuis décembre 2020, période à laquelle le fonds (aussi appelé PIF) a commencé à communiquer des précisions sur ce sujet, c’est le niveau le plus bas qui ait été enregistré.
Le royaume, afin de combler les déficits, a décidé de se tourner vers l’emprunt. Il pronostique aussi une nouvelle vente massive d’actions Saudi Aramco, le géant pétrolier, observe le Wall Street Journal, citant des sources proches du dossier. Ainsi, Riyad envisagerait de céder 1 % d’Aramco à des investisseurs en Bourse sous forme d’actions pour se procurer des liquidités.
Ces emprunts colossaux et ces dépenses sont l’illustration des (trop) grandes ambitions du prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) à l’égard de son pays. Ils témoignent aussi des écueils budgétaires auxquels l’Arabie saoudite pourrait devoir faire face dans un contexte marqué par des prix du pétrole modérés et des taux d’intérêt élevés.
Désormais, le pays du golfe se trouve à mi-chemin de son plan de développement économique baptisé Vision 2030 et dont l’objectif est de s’affirmer en tant que puissance économique qui ne dépend pas exclusivement de l’or noir. Le but affiché par le prince : que son royaume devienne « la nouvelle Europe ».
« Viendra l’heure des comptes »
Parmi les mégaprojets de Mohammed ben Salmane (qui constituent les postes de dépenses les plus importants d’Arabie saoudite), citons l’instauration d’une station balnéaire sur la mer Rouge ou encore la ville de Neom, prévue pour accueillir neuf millions d’habitants. Deux bâtiments d’une hauteur supérieure à celle de l’Empire State Building sont prévus, détaille le journal américain. Montant estimé des travaux : 500 milliards de dollars.
« La quantité de choses que l’on essaie de réaliser par ici donne le vertige », analyse Tim Callen, chercheur invité au sein du think tank Arab Gulf States Institute, dans les colonnes du quotidien économique et financier.
Le spécialiste suggère que le gouvernement pourrait être forcé d’injecter 270 milliards de dollars supplémentaires d’ici à 2030 dans le PIF : « Cela voudra dire qu’il faudra prendre davantage de risques sur le plan budgétaire. Soit en amenuisant les réserves qui permettent au riyal saoudien de rester ancré au dollar, soit en augmentant la dette. »
Le PIF a d’ores et déjà dit s’attendre à recevoir plus d’argent de la part du gouvernement, indique le Wall Street Journal. En 2024, le royaume devrait enregistrer un déficit budgétaire de 21 milliards de dollars, soit près de 2 % de son PIB. Alors qu’il tablait auparavant sur des excédents, Riyad prévoit maintenant de faibles déficits annuels jusqu’en 2026.
Un risque de blocage ou d’annulation
Néanmoins, rien ne laisse craindre un effondrement financier imminent pour l’Arabie saoudite, dotée d’une marge de manœuvre budgétaire conséquente. De tels niveaux d’endettement demeurent raisonnables, assure le site d’actualités. Pour preuve, il prend l’exemple de l’Allemagne, dont le ratio dette/PIB est plus de deux fois supérieur.
Interrogée par le journal américain, la chercheuse Karen Young n’exclut pas la possibilité que plusieurs grands projets soient bloqués ou annulés à cause de leur absence de rentabilité face à l’augmentation des coûts. Toutefois, si tel devait être le cas, l’État continuerait certainement d’approvisionner le PIF au cours des prochaines années : « Il y aura de l’argent à profusion jusqu’en 2030, à mon avis, puis viendra l’heure des comptes. »
GEO (avec 6medias)